suivez-nous sur mastodon suivez-nous sur bluesky
Random, création 2026
Tous les carnets

RANDOM, le carnet de création

n° 3 - juin 25


Après la résidence en collège du mois d'avril, axée sur l'écriture et la façon de croiser les récits, je ressentais le besoin d'éprouver plus concrètement l'expérience que j'ai imaginée il y a plus d'un an. De me confronter au dispositif, à ce qu'il provoque dans la réception du propos, à l'espace scénique, aux défis techniques. À la proximité des interprètes. Dans ce projet, la construction de la forme et la réflexion sur l'écriture sont tellement liées que la moindre piste technique bouscule l'écriture et inversement. Cette semaine de résidence aux Tréteaux de France, en présence de trois élèves apprenti·e·s de l'ERACM, était donc l'occasion d'entrer dans le concret.


Random

Se confirmer les intuitions

Après des mois à échanger à la table, partager nos lectures et autres inspirations, nous voilà enfin dans un studio à déballer les casques, se raconter des espaces, déployer en vrai ce qui n'était jusque là qu'un croquis technique. Et se faire ce constat réjouissant que ça fonctionne.

Avec RANDOM, je cherche une certaine fluidité dans la superposition des deux récits, pour que le public puisse recevoir le texte, mais je veux aussi l'inciter à changer régulièrement de canal, en provoquant des événements et des ruptures dans le jeu des interprètes. Nous avons exploré différentes façons de le faire tout au long de cette résidence : placer les deux personnages dans une même situation, ou les faire parler d'un même sujet dans deux espaces différents. Jouer des silences de l'un pour inviter à écouter l'autre. J'ai par exemple aimé qu'une musique commune aux deux canaux accompagne les monologues des deux personnages, eux-même dans des énergies différentes. Qu'elle accompagne aussi notre parcours de spectateur·ice, comme un fil rouge d'un canal à l'autre.

Nous avons également testé cette idée qu'on accédait aux pensées des deux personnages : qu'est-ce que ces pensées racontent en sous-texte ? Comment peuvent-elles coexister avec le texte parlé ? Qu'est-ce qu'elles amènent en plus ? Quelle forme d'écriture prennent-elles ? Ce qui m'intéresse, c'est d'amener la façon dont les personnages doutent, se censurent, cherchent à contrôler une part intérieure à laquelle nul n'accède normalement.

J'aime particulièrement ces premiers labos d'exploration sur une création, parce qu'on ne cherche pas à produire à tout prix, qu'on a le temps de l'essai, de la réflexion. Je suis convaincu que ce temps qu'on s'accorde est déterminant ensuite dans la façon d'approcher le spectacle en lui même, ainsi que dans la méthode pour y parvenir. Après ces quelques jours aux Tréteaux, j'ai le sentiment d'entrer dans l'été avec une vision plus précise et structurée des étapes pour la saison prochaine.


Random

Tester avec des ados

Toujours dans cette logique d'expérimenter la globalité du dispositif, nous avons pu accueillir, en cours de résidence, une classe de 4ème. Le casque sur les oreilles, les élèves ont pu découvrir un premier monologue de Norah et de Victor, et nous, les observer passer de l'un à l'autre. Les voir se demander un moment dans quoi on les embarquait, puis très vite, prendre goût à l'expérience : « j'ai écouté Victor parce que son histoire me faisait de la peine. Des fois dans sa famille, on a l'impression qu'on n'est pas le plus aimé. » nous dit un ado. Une autre nous confie : « Norah, c'était bizarre, c'est comme si elle avait plusieurs voix dans sa tête » et ajoute « j'ai d'abord écouté un peu des deux pour voir à qui j'avais à faire, puis j'ai choisi qui suivre ». J'ai été surpris de voir que les élèves parvenaient sans difficulté à s'identifier au personnage de Victor, pourtant plus éloigné d'elles et eux par son âge et son parcours. On met souvent en jeu des personnages adolescents quand on s'adresse à cette génération. Ici, je voudrais leur donner à voir des adultes qui racontent en partie leur propre jeunesse. Des adultes qui doutent, qui hésitent, qui ne sont pas sûrs d'eux : qui, comme nous tous·tes, avancent à tâtons.


Extraits du texte (travail en cours)

Victor.

Je m’appelle Victor. Je viens d’une fratrie de trois garçons. Je suis pas l’aîné super brillant qui a réussi les écoles, prépa, aéronautique, tout comme papa, tout comme il faut. Je suis pas le petit dernier adoré de sa mère, libre de tout, qui séduit par son aplomb et ses boucles blondes. Je suis celui du milieu. Le moyen. Ni très beau ni très vif ni très cool ni très aimé ni très populaire ni très détesté non plus. J’ai trois bons copains d’enfance, ni les plus cool ni les pires. Je suis invisible pour les filles, ça m’est égal. Elles le sont aussi. En vrai je parle d’elles surtout pour faire comme les autres - impressionner les autres mecs. Moins maintenant mais quand j’étais ado… Ce qui compte vraiment, c’est d’impressionner les autres mecs. Les plus belles meufs, les muscles, les bagnoles… Le but c’est bien d’avoir, d’être plus que les autres gars ? Non ? Qu’ils t’envient, qu’ils t’admirent, qu’ils te respectent… Je sais pas vous, moi c’était comme ça. J’ai fait semblant d’aimer le sport pour partager UN truc avec mon père. Ça a donc été : le stade. Rugby. Foot pour les matchs prestigieux. J’y comprenais rien mais avec le temps, je me suis convaincu que j’aimais les foules, les tribunes, les chants… Ça me faisait tellement flipper. Les hordes de gars, chauffés à blanc. Dans notre famille, on n’est pas très collectif. Ma mère dit que le seul collectif réel c’est la famille. Dans ma famille on n’est pas très famille.

Norah.

Je crois je suis quelqu’un de très adaptable, en vrai. La caméléon, mon animal-totem. En Irlande, j'étais irlandaise. Pas physiquement, dans ma tête, je veux dire. C’est comme si je pouvais être mille Norah à la fois, et selon les gens, les décors, je sélectionne d’être elle ou elle. Et c’est pas du mensonge, hein. C’est des facettes. Une boule à facettes, mon animal-totem — tu sais, comme y a dans les karaoké chinois. J’adore le karaoké, j’avoue c’est la honte.
(elle chante)
Ah, je pars dans tous les sens, désolée !! Je reprends le fil à l’envers :
L’affaire.
On remonte à mon entrée en 6eme.
Là il faudrait une musique de film de zombies.
Premier jour de collège.
Je regarde les listes pour trouver ma classe. C’est là, devant le panneau, la première fois que je rencontre Perrine.
Premier jour du grand huit. Premier jour du cauchemar.


Random

Lancer la machine

Si j'avais besoin de tester les différents aspects de RANDOM, j'avais aussi besoin de mettre en route le travail en équipe, de s'accorder sur un langage et des objectifs communs, de bâtir un cadre où chacun·e trouve sa place. Accueillir trois jeunes élèves apprenti·e·s de l'ERACM sur ce temps de recherche s'est avéré très riche. Leur partager la démarche artistique de la compagnie, la façon dont on explore, les accompagner dans un travail parfois incertain, les inviter à s'exposer, à se livrer en toute vulnérabilité dans les impros. Prendre soin d'elles et eux dans cette dynamique. Se laisser surprendre aussi par leurs propositions ou leurs réactions. Chacun·e des trois a pu tantôt être au plateau, tantôt côté public, ce qui m'a permis d'avoir leur retour sur ce que provoque le choix au casque.



C'est certain, cette création nous réserve un travail tout en dentelle. Tout est à faire, à coudre et à découdre. Je mise sur la venue régulière de groupes pour affiner cette proposition au fur et à mesure du travail, et je m'en réjouis d'avance. Quant à l'équipe, elle se constitue doucement, notamment avec la recherche des interprètes, que je veux prendre le temps de choisir. Les prochains rendez-vous sont en novembre, lors des Rencontres de La croisée (toutes les infos sont ici), puis nous serons accueillis par le Vivat à Armentières pour une semaine qui devrait se clôturer par une lecture. Bienvenu·e·s si vous êtes dans les parages !

site web mastodon bluesky